Page 2 - 130 ans

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Le Racing Club de France a 130 ans depuis le 20 avril. Plus important, le club doyen a toute sa tete et toutes ses
jambes, car si ce club archiclassique a su defer le temps, c’est qu’il n’est pas comme les autres. Meme s’il en a l’air.
Etre Racing, plus qu’un etat d’esprit, c’est un etat d’ame. Et ce dernier ne s’est pas forge au fl du temps, il existait
d’emblee. Ceux qui, en 1892, crient « R-A-C-I-N-G ! » en detachant chaque lettre, sont les memes que ceux qui, a la
fn des annees 80, jouent avec des berets basques ou des nœuds papillons, en buvant du champagne a la mi-temps.
Le Racing est bien le plus classique et le plus imprevisible des clubs. Sa constante, c’est le panache, le respect du
jeu d’attaque et de ses adversaires, la chevalerie en Ciel et Blanc.
Le ballon de l’equipe adverse est passe sous les poteaux ? Qu’importe, il faudra marquer davantage. La « Racing
touch », c’est ca, depuis 130 ans et surtout 120 qu’existe la section rugby. C’est ce fl bleu Ciel invisible qui relie
Franck Mesnel, Henry Chavancy et les freres De Candamo, ou Duchamps. En 1892, ils avaient surpris le Stade francais,
alors favori du premier match pour le premier Bouclier de Brennus, en 1990 et en 2012, ils surprennent encore et
toujours.
Cette famme bleue parfaitement unique explique qu’en 120 ans le club n’a trouve que cinq fois (1892, 1900, 1902,
1959, 1990) le moyen de fgurer sur le Bouclier de Brennus. Pas aussi souvent qu’il l’aurait merite, encore qu’il ait
ete aussi six fois fnaliste (1898, 1912, 1920, 1950, 1957, 1987) et surtout qu’il a donne a l’equipe de France 76
internationaux, dont 12 grands capitaines entre Frantz-Reichel, Jean-Pierre Rives et Lionel Nallet. Non, le Racing
n’est pas un club comme les autres, il tire davantage sa ferte des quinze titres de champions de France juniors et
cadets glanes entre 1954 et 1994. Le Racing, c’est avant tout un club formateur, un club qui donne la vraie culture
ovale.
Sa clef, la clef de cette fameuse maison bleu Ciel, chere a Maxime Le Forestier, ici, on ne l’a jamais perdue. C’est un
pionnier d’origine ecossaise, un certain Georges de Saint-Clair, qui l’en a gratife d’emblee, en lui revelant toutes les
virtualites que contenaient le titre de Racing Club de France, toutes les facettes du ballon ovale et en lui donnant le
bleu ciel de Cambridge. Apres, une guirlande d’animateurs hors pair n’avait qu’a faire passer le feu sacre. Dans les
periodes fastes, il jaillissait, dans les diffciles, il couvait. Cette chaine qui commence avec Frantz Reichel, Adolphe
de Pallissaux ou Paul Champ, et va jusqu’a Michel Debet et Robert Paparemborde, avant d’entrer dans les temps
modernes et le professionnalisme avec Jacky Lorenzetti et Pierre Berbizier, passe ainsi par Cyril Rutherford et Allan
Muhr, Christian Magnanou, Robert Thierry, puis Roger Lerou et Pierre Conquet. Entre, il y a toujours de tres grands
joueurs rayonnants, comme Geo Andre ou Yves Du Manoir et des phenomenes comme Jacques Tati et Alfred Sauvy
qui aimaient la dimension familiale du Racing. Car le Racing est aussi un immense club s’appuyant sur les lycees
Condorcet, Janson-De-Sailly, Lakanal ou Louis-le-Grand, sur les grandes ecoles HEC, Centrale ou Polytechnique. Ici,
on porte parfois la particule, mais surtout, on passe le ballon, on fait bouger les lignes. La premiere grande equipe
du Racing, celle de 1892, donne le cap avec ses Peruviens, les freres De Candamo, ses Belges, les freres Duchamps,
et ses Americains, les freres Thorndike, de grands peintres. Cet alliage parfaitement unique, Rene Crabos, capitaine
du Racing au debut des annees 20, le resume ainsi : « Avant, pendant et apres le match, le Racing, c’est ferveur,
bravoure et fraternite». Des fondamentaux que le Racingman Pierre Conquet elargira au jeu cinquante ans plus tard.
Cette dimension architecturale du Racing s’appuiera d’ailleurs sur plusieurs generations de joueurs architectes, a
commencer par Louis Faure-Dujarric, un des batisseurs du stade de Colombes, fnaliste du championnat 1893. Cette
annee la d’ailleurs, le Racing apporte une premiere pierre a la maison France. En effet, les Racingmen fournissent,
avec le Stade, le noyau dur de la premiere equipe de France offcieuse en tournee en Angleterre. Deux courtes
defaites qui se transformeront en deux victoires lors des jeux Olympiques de 1900. Huit des champions olympiques
sont des Racingmen, et, en prime, ils brillent dans le tournoi de tir a la corde ! Cette annee-la, annee faste, le
club Ciel et Blanc, qui a surmonte la crise interne qui avait debouche en 1895 sur la naissance de l’Olympique, est
champion de France pour la seconde fois. Sa victime : le Stade bordelais universite club (37-3, trois essais de Cyril
Rutherford). Il le mate encore en 1902 (6-0), mais la province a mis le nez a la fenetre et ne la lachera plus. Le Racing
en fera les frais en 1912, ou son equipe pourtant constellee d’internationaux devant (Guillemin, Monniot, Decamps)
et derriere (Geo Andre, Burgun, Lane et Failliot) s’incline devant l’invincible machine rouge du Stade toulousain
(8-6). Le Racing subira le meme sort en 1920, mais devant l’ours tarbais (8-3). La encore, son equipe est fabuleuse
avec Lerou et Thierry devant, Bousquet a la melee, et surtout les plus grandes lignes arrieres de tous les temps, avec
Chilo en numero quinze et Andre, Crabos, Borde, Jaureguy, en trois-quarts. C’est le temps des rugbymen-athletes,
champions de France et internationaux sur 400 metres, 400 metres haies, ou lancer du poids. Heureusement, les
Racingmen oublient les deboires en ciel et blanc sous le maillot de l’equipe de France : ils sont cinq (Lane, Levee,
Muhr, Branlat, Dedeyn) lors du premier match offciel contre les All Blacks le 1er janvier 1906 (defaite 38-8), et
encore cinq lors de la premiere victoire internationale (16-15) aux depens de l’Ecosse le 2 janvier 1911. L’exploit
a lieu a Colombes, sur le terrain du Racing, et les Racingmen sont decisifs car Decamps transforme deux essais et
Failliot en marque deux, sauvant en prime la France in extremis.
Cette contribution decisive pour le pays, on la retrouve au front lors de la Grande Guerre, ou les internationaux
Decamps, Lane, Guillemin, Gaspar De Candamo ou Legrain tombent. Burgun tombe quant a lui en combat aerien,
amorcant la tradition des ailes au Racing. GeoAndre, Pelletier d’Oisy et Pierre Gaudermen, eux aussi chevaliers de la
cinquieme arme, en rechappent. Meurtri par la guerre, le Racing devra sa resurrection a l’Ecole militaire de Joinville
qui draine a Paris les sportifs preparant les jeux Interallies de 1919, puis les jeux Olympiques d’Anvers et Paris. C’est
ici que surgit la reine des lignes de trois-quarts : Rene Crabos, Francois Borde, Adolphe Jaureguy. Malchanceuse en
championnat, elle permet a l’equipe de France de remporter sa premiere victoire en deplacement. L’exploit a lieu
en Irlande le 3 avril 1920 (7-15) et Jaureguy marque deux des cinq essais francais. Adolphe rejoint le Stade toulousain
en 1921, mais ce sont encore les lignes arrieres du Racing qui jouent un role essentiel dans la victoire de l’equipe
de France en Ecosse (0-3). Jean Lobies, un danseur, remplace Jaureguy, aux cotes de Crabos et Borde. Apres les
militaires Louis Beguet et Marcel Piquiral aux jeux de 1924, c’est Marcel De Laborderie et l’ouvreur-perforeur Yves
Du Manoir qui seront les depositaires de l’etincelle du Racing sous le maillot tricolore. Applique, impressionnant
de conviction, le Polytechnicien Du Manoir ne suffra pas a redresser l’equipe de France et s’ecrasera au sol en
passant son deuxieme brevet d’aviateur militaire le jour de France-Ecosse 1928. Il avait 23 ans et huit selections.
Pour perpetuer son souvenir, on donne son nom au stade de Colombes, a un prestigieux challenge, et Jean Puyforcat
cisele sa statue.
Puis le Racing traverse les annees de rupture avec les Britanniques pour cause de violence et d’amateurisme marron
en donnant toujours des internationaux : les arrieres Louis Pellissier, Pierre Geschwind, Pierre Guelorguet, Geo
Gerald (17 selections) et les avants Louis Dupont et Louis Dorot.
Les tailles sombres de la Seconde Guerre mondiale (Muhr, Piquiral, Geo Andre tombe a 53 ans, les armes a la main)
contribueront a resserrer encore les rangs et a amorcer une nouvelle resurrection au debut des annees 50. Ce coup-
ci, le miracle viendra encore des lignes arrieres avec les internationaux Andre Alvarez, Gerard Dufau, Pierre Dizabo,
Francis Desclaux, Alain Porthault, Fernand Cazenave ou Michel Vannier, voire de l’avant-aile Jean-Claude Bourrier.
Ils sont ingenieurs ou ingenieux, professeurs d’EPS ou VRP, et se retrouvent en fnale en 1950. Trente ans apres, ils
echouent encore face a la province, a Castres (11-8). En 1957, ils montent encore d’un cran, en s’inclinant de justesse
face a Lourdes (16-13), l’equipe de l’heure. Les Joinvillais sont remplaces par des eleves et professeurs de l’Ecole
de formation de l’EDF de Gurcy-le-Chatel. La grande annee sera 1959 : apres avoir sorti Lourdes en demi-fnale, ils
battent le Stade montois, egalement favori. Il y a treize provinciaux sur les quinze cham- pions, a commencer par
le capitaine Francois Moncla, Michel Crauste ou Michel Debet. Il faudra un nouveau bond de trente ans pour que
le Racing, qui dans l’intervalle a donne aux Bleus des Claude Laborde, Michel Taffary, Jean-Francois Gourdon ou
Patrick Mesny, ne connaisse dans les annees 80 l’electrochoc Jean-Pierre Rives pour rever a nouveau des sommets. La
breche elargie par Robert Paparemborde s’ouvre alors pour Jean-Baptiste Lafond et Patrick Serriere. Derriere, Michel
Tachdjian, Laurent Cabannes, Jean-Pierre Genet, Gerald Martinez ou Franck Mesnel vont s’y engouffrer, nouvelle
fnale en 1987 et surtout cinquieme titre en 1990. Un vent de fraicheur souffe sur l’Ovalie, c’est la revolution des
nœuds papillons roses. Eric Blanc, Laurent Benezech ou Philippe Guillard completent la joyeuse troupe qui apres
prolongations domine le Sporting Union Agenais de Philippe Sella, et du president Albert Ferrasse, arbitre de la
fnale de 1959. Apres un passage jubilatoire par la case Eden Park, celle des joueurs devenus rois de l’equipement
sportif grand public, il faudra entrer dans le monde du rugby professionnel. Un nouveau challenge qui ne devrait
pas effrayer le Racing qui en a deja vu de toutes les couleurs avec ses peintres, docteurs, artilleurs, chimistes,
ingenieurs, romanciers, journalistes, profs ou arbitres. La maison restera bleu Ciel et Blanc.
1892-2012
130 ANS D’HOMMES
Serge Laget